Entretien avec Colette Schauber, entrepreneuse, consultante, facilitatrice, et formatrice. Spécialiste de l’intelligence collective dans l’organisation et le monde du travail, elle a été un véritable mentor pour 1 Lettre 1 Sourire avec Laurent Marbacher. Ils ont été tous les deux un soutien fort lors des débuts de l’association.
Elle a ici expérimenté un management alternatif au sein d’une entreprise libérée.
Article réalisé par syn-ops.fr, le 7 Janvier 2021
1. Comment pourriez-vous décrire le management humble ?
Je dirai que c’est d’avoir renoncé au besoin de se sentir omnipotent ou omniscient, tout en étant conscient de sa valeur, de ce qu’on apporte à une organisation. Cela s’apparente à trouver un équilibre entre être bien dans son rôle et avoir conscience de ses limites, savoir qu’on ne sait pas tout et faire savoir qu’on ne sait pas tout. Je pense que cela nécessite de se sentir d’égal à égal avec les autres personnes. Un leader humble va penser qu’il peut toujours avoir quelque chose à apprendre d’une autre personne, et dans sa vision du monde, il n’y a pas de hiérarchie entre les êtres humains.
Il y a une dimension qu’il me semble aussi nécessaire de souligner : ce qui découle de l’humilité c’est la capacité à se remettre en question. Toujours chercher à apprendre, à progresser, réaliser que l’on peut toujours être inspiré.
Pour autant, être humble ne signifie pas être effacé ! L’inverse de l’humilité serait à mes yeux plutôt la suffisance, le fait de se figer dans la posture du sachant. Pour moi, on peut être très charismatique tout en étant humble. C’est une posture d’apprenant.
2. Pourquoi l’humilité vous semble nécessaire dans l’exercice du management ?
En premier lieu, le « pourquoi » peut se relier à un contexte. Aujourd’hui, les attentes des collaborateurs vis à vis des managers ont évolué. La plupart d’entre eux ont envie d’être associés aux réflexions, aux choix.
Travailler de manière collaborative requiert une posture managériale particulière. Le manager devient pour son équipe un facilitateur davantage qu’un contrôleur ou un superviseur. L’équipe quant à elle a un « potentiel à développer » plutôt que d’être « des personnes à gérer ». Ces méthodes font la part belle à l’humilité, et permettent de donner, de recevoir.
En outre, j’entends de plus en plus de demandes d’évaluation des managers. Comme pour dire que la culture du feedback ne doit plus être à sens unique. En la rendant bilatérale, elle permettrait de développer des axes d’améliorations et de transformer des faiblesses en opportunité de s’améliorer.
D’ailleurs actuellement, les jeunes recrues n’ont plus forcément l’ambition de prendre la place du chef. Ce rôle ne leur semble pas enviable, ils tendent plutôt à s’enlever la pression d’avoir à manager « à l’ancienne » et de devoir porter la responsabilité de toutes actions, de tout savoir.
Voir le leadership sous un angle teinté d’humilité pourrait susciter plus de vocations managériales en diversifiant les modèles.
3. Par quoi se traduit l’humilité dans l’exercice du management ?
Il y a ce qui émane du manager en tant que personne et ce qui découle de la culture associée au management humble. Les deux sont étroitement liés.
Celui qui fait le pari de manager avec humilité va se montrer authentique dans ses relations, ne pas s’approprier les réussites collectives mais au contraire reconnaitre les contributions de tous. Personnellement, il sera dans une dynamique constante d’apprentissage par de multiples moyens : formations, coaching, réflexivité, échanges avec des pairs, lectures… Tout ce qui l’aidera à se développer et élargir ses horizons en permanence.
Au sein de l’équipe, les possibilités d’exprimer son point de vue, ce que l’on n’a pas compris, ses besoins, seront encouragées pour que chacun développe son plein potentiel. Je précise que l’humilité n’empêche pas d’avoir une vision mais laisse de la latitude aux équipes sur les démarches, le « comment » des objectifs.
Il y a aussi des organisations de l’espace qui peuvent favoriser cet esprit collaboratif. Cela nécessite parfois de casser les codes de représentation habituelle. Par exemple un manager qui transforme son bureau en salle de travail collaboratif.
4. Avez-vous une expérience personnelle ou une anecdote liée à l’humilité dans le monde professionnel ?
Ce n’est pas à proprement parler une anecdote, mais une tranche de vie de 6 ans en entreprise libérée.
Nous étions notre propre « laboratoire » de management alternatif. Au fil du temps, nous avons élaborés des pratiques complètement hors des clous, comme par exemple fixer notre propre salaire. C’était loin d’être évident ! J’ai pris conscience de beaucoup d’enjeux au travers des feedbacks de l’équipe : la diversité des points de vue, des réalités de perception. Je me disais « un pas après l’autre ». C’est avec douceur et patience qu’on avance.
Je n’ai jamais considéré que ce qui était réalisé dans mon entreprise constituait l’alpha et l’oméga des pratiques ! Je n’ai pas non plus cherché à enjoliver notre mode de fonctionnement : je suis restée authentique sur notre vécu, les défis à relever et ceux que nous avions déjà relevés. Il s’agit d’une expérience imparfaite, à l’image de la vie et des êtres humains en général.
Qu’est-ce que vous choisiriez pour « illustrer » l’humilité ?
Je choisirai les impros en Jazz-band dans lesquels à la fois on contribue et à la fois on magnifie ce qu’on réalise. Tous types d’impros en réalité, car c’est l’accueil de l’imprévu en y voyant une opportunité. C’est savoir renoncer et s’ajuster en fonction des autres, prendre le « flow » même si on a autre chose en tête !